Catalogue de l'exposition Marlène Mocquet au Musée d'Art Contemporain de Lyon, 2009
Démons et merveilles
Marlène Mocquet se laisse surprendre par les différents états de sa peinture et c'est-ainsi qu'elle nous étonne et nous émerveille. L'étendue et la matière sont les paramètres de son art. Dans ses toiles, petites ou grandes, l'artiste collecte parmi les flaques de peinture, les dépôts de matières, les empâtements et les coulures, une multitude d'anecdotes et d'historiettes, qui s'enchaînent selon l'humeur à la façon du rébus, de la bande dessinée ou de l'instantané photographique. Tel monstre à l'apparence de lapin rappelle Walt Disney, telle dame semble tout droit sortie de l'époque victorienne, tel tigre géant rappelle certaines céramiques chinoises. Et parfois les mêmes personnages se répétant plusieurs fois dans des circonstances différentes ne sont pas sans évoquer une temporalité de récit médiéval.
De la flaque naît le monstre qui dévore la poupée à robe rouge, saisie en quelques traits de pinceau. Une traînée de matière pâteuse laisse surgir, par l'adjonction de quelques points noirs, des visages hurleurs pris de vitesse. Les personnages se jouent de l'espace et des dimensions, parfois gigantesques face à des Lilliputiens, parfois minuscules dans un paysage infini. Sans qu'il soit véritablement possible d'en déterminer l'instant, la figure apparaît, l'histoire horrible ou « rigolote » s'articule dans l'enchaînement des traces picturales, des adjonctions et des superpositions de couches.
La peinture de Marlène Mocquet déborde par tous les pores de la toile, prête parfois à coloniser l'espace, mangeant les tranches, formant relief. Le tableau est travaillé à plat puis verticalement. Entre ces deux moments, souvent, un instant sert à observer l'état de la couleur et les formes surgies de l'étalement des fluides. La question est de savoir si le hasard a suffisamment bien fait les choses. Équilibre de la composition et sens de la toile, haut et bas, largeur et hauteur, se déterminent souvent alors. Ce qui caractérise les tableaux de Marlène, c'est l'étrangeté du phénomène d'apparition propre au médium par lequel la peintre semble comme subjuguée et qu'elle finit toujours par dompter. Ainsi vient le temps du détail, par l'ajout de petits riens, ou l'exagération d'aspects flagrants, naissent les figures que le regardeur inattentif n'avait pas su voir, vient le temps de la liberté et de la maîtrise. Tout repose alors sur la concentration, à la fois introspective et plastique. Marlène Mocquet ressemble à l'archer chinois qui, décochant la flèche, l'accompagne par l'esprit jusqu'au cœur de la cible que pourtant il ne vise pas: inconscience totale mais suprême maîtrise, résultat d'une discipline implacable de gestes répétés indéfiniment. Plus peut-être que pour d'autres, le phénomène de l'apparition semble essentiel à cette peinture, à la fois parce qu'il habite la pratique de l'artiste et parce qu'il fascine le spectateur. Dans l'atelier, l'artiste puise dans la fluidité de la matière et les aléas de la pâte les raisons de faire émerger des figures à la naïveté feinte. Marlène Mocquet, comme quelqu'un qui trébuche mais toujours se rattrape, fait de l'accident technique le moteur des histoires que chaque tableau raconte. Le regard concentré ou méditatif de l'artiste s'attache aux flaques, à leur étendue, à leur forme, aux dégoulinures, aux transparences, aux opacités, et laisse au hasard la suggestion de figures faussement fortuites. Insensiblement, la conscience passe de la matière à l'image. La figure cachée apparaît et dans le même mouvement révèle toute l'incertitude de cette présence tenant à l'équilibre entre la dissemblance de la tache et le mimétisme de la forme, à la figure qui émerge et à la défiguration des personnages et des paysages, à la forme qui se précise d'un rajout et à l'informe qui persiste dans la matière. Ce jeu d'équilibriste tire la peinture du côté de l'image sans jamais lui retirer son statut d'artisanat de la matière. Le spectateur de son côté se laisse prendre à l'aller et retour du regard naviguant du prés au lointain, de l'ensemble au détail. De loin, c'est la dynamique qui surprend d'abord, la mise en relation des éléments de la représentation dans un mouvement général qui habite la surface de la toile et en construit la composition. De près, les détails d'une technique en même temps que d'une iconographie, d'abords indistincts, viennent peupler les alentours de ce qui se déroule sur la scène. Tel pâton emberliticoté, multicolore et irisé, révèle dans son épaisseur un couple d'escargots, tout autant en volume qu'en couleur, qu'un déplacement de quelques centimètres du point de vue sufflt à faire apparaître ou disparaître. Tel lavis d'encre semble uni de loin et peuplé de figures de loup, de près, de visages ébahis. Il y aurait un inventaire à faire de cette iconographie, de l'évidente et de la sousjacente, de celle qui se révèle au premier abord et de celle qu'on discerne a la longue. Les poupées rouges, parfois fillettes, parfois femmes, les visages qui s'extraient de la matière, les loups, les oiseaux au fuselage d'avions supersoniques, les agneaux, les fruits, fraises et pommes, les yeux globuleux ou ébahis, stupéfaits ou tristes, en tout cas scrutateurs, les buissons, les petits bonhommes, les villes, les nuages, les falaises et les volcans, sans omettre Betty Boop, la magicienne et les boules de poils, construisent dans leurs actions réciproques des moments singuliers de récit. On décèle dans cette iconographie une culture visuelle riche sans pourtant que jamais il ne soit possible d'en remonter la généalogie. Les pommes, comme accrochées au plan de la toile, évoquent peut-être Cézanne, tel portrait rappelle Velasquez, tel paysage peuplé de monstres nous renvoie à Bosch, et tel regard atone suscite le souvenir du Goya de Manzanares. Mais tout aussi bien les personnages se déplaçant sur les nuages reactivent l'histoire de Mary Poppins.
Marlène Mocquet impose la présence de la peinture dans un monde de l'art qui paraît souvent en faire un médium désuet. Sa peinture semble n'avoir ni origine, ni destination, ni présupposé intellectuel, ni conclusion philosophique, s'engendrant de la technique sans que jamais celle-ci ne soit ni unique, ni déterminante. Elle est pragmatique. Avec jubilation mais sans être exclusive cependant: toutes les triturations de la matière, tous les procédés, toutes les hybridations sont possibles, à seule condition que cela tienne techniquement et visuellement.
Hervé Percebois
Vue d'exposition, Musée d'Art Contemporain de Lyon, 2009, ©Blaise Adilon